Jenni Romaniuk : « Construisez d’ores et déjà vos actifs, avant d’en avoir vraiment besoin. »

10/11/2020

Le swoosh de Nike, le rouge Coca-Cola, le M de McDonald’s… Ce sont autant d’exemples d’actifs de marque distinctifs : des éléments sensoriels caractéristiques reliés à votre marque de façon unique. Ils la rendent reconnaissable, aussi lorsque votre nom de marque n’apparaît pas à l’image ou n’est pas énoncé. Une spécialiste en cette matière des ‘distinctive brand assets’ est Jenni Romaniuk, Research Professor auprès de l’Ehrenberg-Bass Institute. Pendant sa présentation lors de l’UBA Trends Day, elle a expliqué ce que peut apprendre chaque annonceur de ses  éléments de marque.

L’utilité d’actifs de marque distinctifs

Avant de plonger dans l’interview, il est utile d’exposer à quoi peuvent servir les distinctive brand assets. Pourquoi, en tant que marque, faudrait-il utiliser des actifs de marque distinctifs ? Parce que selon Romaniuk, ils augmentent votre reconnaissabilité et votre flexibilité. 

  • Reconnaissabilité

Si vos actifs de marque distinctifs paraissent familiers au consommateur, ils attireront l’attention plus rapidement. Un actif puissant devient une ancre et crée de l’unité, tous canaux, messages et campagnes confondus. Reconnaissez-vous le actifs repris ci-contre ?

  • Flexibilité

Plus vous avez d’actifs de marque distinctifs puissants, plus vous pourrez faire preuve de flexibilité. Avez-vous par exemple un son distinctif ? Alors, dans un spot TV vous devrez moins vous appliquer à mettre en exergue votre marque de façon visuelle. Le consommateur repèrera aussi plus rapidement votre marque si vous jouez sur différents sens.

Maintenant que vous saisissez ce que sont des actifs de marque distinctifs, et à quoi ils peuvent servir, nous vous invitons à plonger avec nous dans l’entretien que nous avons eu avec Jenni Romaniuk à l’UBA Trends Day. Et comme nous savons ce qui vous préoccupe, nous ne nous sommes pas bornés à poser les questions que nous avions, mais aussi celles que vous vous posez.

La réponse à toutes vos questions fréquemment posées

Jenni, vous avez imaginé une grille pour l’utilisation des distinctive brand assets. Vous dites qu’on n’atteint son sweet spot que lorsque sa marque obtient des scores élevés tant en termes de uniqueness (caractère propre) que de fame (notoriété). Comment pouvons-nous accompagner nos annonceurs à ce niveau ?  

« Une idée fausse répandue chez les annonceurs est que les actifs de marque distinctifs constituent une meilleure alternative au nom de marque. Ils voient les deux comme des ennemis réciproques. Cependant, ce sont justement des éléments qui coopèrent. Les annonceurs créent souvent des actifs, qu’ils intègrent ensuite dans des publicités, mais ils n’y ajoutent plus le nom de marque. Du coup, plus aucun consommateur n’associera ces actifs au nom de marque, car ils n’apparaissent pas ensemble. Quand  les marketeurs utilisent des actifs distinctifs, ils doivent en fait d’abord se demander quelle est leur force. S’ils disposent de chiffres démontrant que leurs actifs distinctifs sont puissants, ceux-ci pourront être utilisés sans le nom de marque. S’ils ne sont pas suffisamment puissants, il faudra conseiller le marketeur. En effet, sans actifs distinctifs puissants, leur branding et leur efficacité ne s’amélioreront pas.



« Des études sur l’efficacité démontrent qu’après 28 jours un spot TV a toujours de l’effet. »

- Jenni Romaniuk



« En tant qu’annonceur, on travaille avec ces actifs chaque jour, donc on pense automatiquement qu’ils sont puissants. Cela ne vaut toutefois pas nécessairement pour les consommateurs. Un des premiers conseils à donner est : rapprochez quelque peu le nom de marque des actifs. Deux choses se passeront alors : le branding de votre publicité s’améliorera, mais les actifs distinctifs gagneront également en puissance. À l’avenir, vous pourrez ainsi tout simplement placer un actif et non le nom de marque. C’est un des trucs qui peuvent aider les account managers à aiguiller un client. Car, pour eux comme pour vous en tant que société média, cela n’a pas de sens de ne pas faire de bonne publicité de marque. »

Que répondriez-vous à l’affirmation de certains annonceurs que la construction de marque, ça n’est pas pour eux parce qu’ils doivent se focaliser sur l’activation des ventes ?  

« Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre la publicité d’augmentation des ventes et la publicité de construction de marque. Tout le monde devrait faire les deux. On ne peut pas tout miser sur la construction de marque sans poursuivre d’objectif de vente. Cependant, que cet objectif de vente soit mesurable via le CTR ou à l’aide du nombre de gens qui visitent votre boutique, ça reste une forme de pensée à court terme. Le danger qui en découle est que vous montrez des annonces à des gens qui, à ce moment-là, ne sont pas réceptifs à votre message. Tandis que dans des annonces de construction de marque vous pouvez montrer un message auquel le consommateur pensera lorsqu’il aura besoin de votre produit. Des études sur l’efficacité démontrent qu’après 28 jours un spot TV a toujours de l’effet. La construction de marque ne vous permet pas d’augmenter vos ventes à court terme, mais vous conservez bel et bien les clients que vous avez tout en en attirant aussi de nouveaux. »


Pendant votre présentation, vous avez parlé du fait qu’il est important de jeter des ponts entre les différents touchpoints où est présente une marque. Pourquoi exactement ? 

« Parce que personne ne verra tout. Tout le monde voit de petits fragments. Si l’on ne jette donc pas de ponts entre ces fragments lorsqu’on déploie une campagne multi-plateformes, comment veiller alors à ce que le même message s’ancre dans le cerveau de chacun ? On ne crée pas des publicités pour l’endroit et l’instant présent ; à travers elles, on investit dans l’avenir. Il faut veiller à ce qu’elles se retrouvent dans la structure de mémoire du consommateur, de sorte qu’à l’avenir ce dernier pensera à votre marque. Parfois, les gens veulent recréer des choses pour un nouveau média, mais si vous faites cela sans couler la couche de fond, vous lancerez l’annonce sans avoir les bons actifs avec lesquels travailler. Mon conseil est donc : commencez d’ores et déjà à construire des actifs, avant d’en avoir vraiment besoin. Il faut se demander : ‘Qu’est-ce qui (pré)occupera les gens à l’avenir ? Plus tard, ne liront-ils, par exemple, plus que des magazines en ligne ? Si c’est le cas, comment la publicité fonctionnera-t-elle alors dans cet environnement ? Commencez à chercher les actifs qu’il vous faut. Regardez s’il manque des choses dans votre communication et planifiez à long terme. Il se peut que vous ayez une idée pour dans quelques années, mais alors il est impératif que vous en jetiez les bases aujourd’hui déjà. »

En tant que société média, les marketeurs nous posent souvent la question de savoir s’il ne feraient pas mieux de se focaliser sur un média au lieu de déployer une campagne cross-média. Comment voyez-vous cela ?

« La première question que doit se poser un annonceur est : ‘Quelle est l’audience que je vise et quel est le meilleur moyen pour l’obtenir ?’ Le plus important, c’est que vous utilisiez intelligemment votre argent et que  vous plaisiez à un maximum de gens. Ensuite, vous allez étudier la plateforme sur laquelle vous communiquez. Parfois, il vous faut plusieurs plateformes ; parfois, deux suffisent. La plupart des études démontrent que la TV a le meilleur ROI ; je commencerais donc par là. Cependant, achèterais-je encore un second spot TV après le premier ? Cela dépend de où je reçois la meilleure audience pour le budget qu’il me reste. Ce que je déconseille, c’est de simplement opter pour le cross-média comme une fin en soi. Il n’est pas nécessaire que vous soyez présent dans tous les médias. Ne vous laissez donc pas prendre par le nez par les médias sexy, mais mettez à profit les médias qui fonctionnent et qui vous aideront à réaliser vos objectifs. »

Durant votre présentation, vous avez aussi parlé de l’importance d’une identité sonore reconnaissable. Pourquoi le son est-il si important aujourd’hui ?

« Il n’est pas nécessairement plus important que d’autres éléments, mais c’est tout simplement quelque chose qui est souvent négligé parce que nos oreilles ne sont pas aussi fortes que nos yeux. On voit encore trop souvent apparaître les signaux audio en fin de publicité. C’est un problème, car c’est un endroit très ingrat pour du branding. Aujourd’hui, suite à l’essor des podcasts nous utilisons aussi plus souvent nos oreilles. Cependant, en tant qu’annonceur il faut prévoir un branding adapté à un tel environnement audio. La plupart des publicités podcast que j’entends ne cessent de citer le nom de marque pendant ces 20 secondes. Imaginez-vous à la place que dans cet espace de 20 secondes vous captiez un brin d’audio ou de musique reconnaissable qui vous ferait immédiatement penser à la marque. Ce serait mieux, non ? Tant de choses  sont envisageables, mais on n’en fait pas encore assez. »

Quand j’investis mon budget dans des campagnes numériques, je veux qu’on communique de façon transparente sur ce que cela me permet de réaliser.

Jenni Romaniuk

Pour leurs campagnes TV, les annonceurs doivent-ils également penser un peu plus souvent au son qui va avec ?

« Dans la publicité TV, les actifs audio ne font souvent pas partie de la palette. En tant que chercheurs, nous demandons aux marques de nous transmettre des actifs que nous pouvons tester. Que s’avère-t-il ? Souvent, ils ne suggèrent même pas les actifs orientés audio. Et lorsqu’ils y pensent, il arrive souvent qu’ils ne les développent pas bien. Il faut veiller à ce qu’ils sortent du lot tout en formant une bonne combinaison avec le nom de marque. Le piège en TV est d’utiliser trop d’actifs en même temps, sans rien mettre en exergue, ce qui fait que l’on ne s’en souviendra pas. Par contre, lorsqu’on s’adresse à un média audio, et qu’on n’a que ses oreilles, alors les marketeurs réalisent soudain qu’ils n’ont pas développé d’actifs avec lesquels ils pourront travailler dans cet environnement. » 


Suite à l’essor des médias numériques, les annonceurs attendent souvent trop des médias traditionnels, notamment en matière de mesures. Une question qu’ils posent souvent est de savoir comment ils peuvent mesurer l’impact d’une campagne en radio, TV ou print de la même manière qu’ils le font pour une campagne digitale.

« Au niveau de l’efficacité, les médias numériques réalisent en tout cas des scores bien inférieurs à ceux des médias traditionnels. Souvent, des choses comme l’achat programmatique et l’in-target delivery ne fonctionnent pas aussi bien qu’on le prétend. Quand j’investis mon budget dans des campagnes numériques, je veux qu’on communique de façon transparente sur ce que cela me permet de réaliser. Je vois toutefois peu de recherche approfondie sur l’efficacité digitale. »

En guise de bouquet final, une question nous concernant : comment, estimez-vous, pouvons-nous faire la différence par rapport aux grosses cylindrées que sont Facebook, Amazon et Google ? Que pouvons-nous offrir aux marketeurs, en tant que groupe média local, qui soit unique ?

« Un avantage majeur est le contrôle indépendant et la transparence. Car tous ces grands joueurs sont des boucles fermées. Vous leur confiez de l’argent et ils vous diront bien par après à quel point cela a très bien fonctionné. Ils ne publieront jamais d’étude sur eux-mêmes dont il ressort que leur système ne fonctionne pas. Donc : disposer de résultats indépendamment vérifiables, c’est une chose. À côté de cela, il s’agit d’exploiter au maximum les forces de chaque média. En tant que groupe média, on ne dit pas : ‘Donnez-nous votre argent ; nous savons comment ça fonctionne.’ On dit : ‘Nous savons comment intégrer votre message au sein d’un média. Nous savons où placer votre branding pour être sûrs que des gens le verront. »


Les enseignements que nous avons tirés de la présentation de Romaniuk à l'UBA Trends Day  

  • Construisez par vagues

Chaque pas que vous faites, rend le suivant plus facile.

  • Main dans la main

Votre nom de marque est votre ami. Veillez à ce que vos actifs aillent main dans la main avec votre nom de marque.

  • Soyez cohérent 

Veillez à assurer de la cohérence sur tous les canaux. Que vous fassiez de la publicité en TV, en radio ou dans les magazines, les journaux ou en ligne : à tout moment, votre brand building devra répondre à la palette d’actifs que vous aurez créée autour de votre marque. 

  • Dress for the weather

Sachez où faire votre publicité. Par exemple, ne placez pas votre logo au bas d’un poster dans un abribus, car il sera caché par une forêt de jambes ou par des voitures garées devant. Plus de branding !

  • “It is not about blending in, but about standing out.”

Osez innover : n’hésitez pas à rechercher de nouveaux actifs, et pas seulement au niveau de la couleur, de la forme et du logo.